INF Clairefontaine
L'INF Clairefontaine. (Photo Philippe Le Brech)

L’audit réalisé sur la FFF pointe du doigt le « lourd passif » de faits de violences sexuelles s’étalant de 2005 à 2013. C’est le dossier Angélique Roujas.

L’audit mené par l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche (IGERS) a été rendu ce lundi. Parmi les reproches faits à Noël Le Graët, Florence Hardouin ou sur la gouvernance de la FFF, un passage revient sur le « lourd passif » de faits de violences sexuelles s’étalant de 2005 à 2013. La mission d’inspection relève plusieurs manquements du fonctionnement de l’institution de Clairefontaine dans « cette affaire emblématique ». Parmi eux, « une gestion du site qui à l’époque des faits n’était pas adaptée à l’accueil des mineurs ». Cette affaire emblématique, c’est le dossier Angélique Roujas.

Le 30 octobre 2013, Noël Le Graët avait adressé un courrier à l’attention du Procureur de la République de Versailles, Vincent Lesclous, pour signaler une infraction pénale. « D’anciennes pensionnaires de notre institut National de Formation (INF) de Clairefontaine qui entendent à ce jour garder l’anonymat, nous ont rapporté qu’elles avaient eu des relations intimes répétées, consistant notamment en des relations sexuelles, avec leur entraîneur, Madame Angélique Roujas » indiquait ce signalement à la justice.

Des témoignages accablants contre Angélique Roujas

Après une enquête interne, la FFF a décidé de licencier la technicienne pour faute grave en date du 25 octobre 2013. Le signalement a donné lieu à une enquête de la section de recherche de la Gendarmerie de Versailles. Nous nous sommes procuré l’intégralité du dossier judiciaire qui a finalement amené le Parquet à un classement sans suite pour « prescription de l’action publique ». Un dossier qui est assez édifiant.

Le 25 novembre 2013, Pierre-Arnaud Custody, alors Directeur de l’administration générale de la FFF, a été le premier à être entendu par les enquêteurs. « L’affaire a été portée à ma connaissance fin août 2013, a-t-il expliqué. En effet à cette époque il a été prétendu que nous avions envisagé de confier le poste d’adjoint à l’entraîneur de l’équipe de France féminine de football à mademoiselle Roujas. Certaines joueuses se sont alors manifestées contre ce choix en annonçant très clairement qu’elles refuseraient la sélection si elle occupait ce poste. Elles lui reprochaient d’avoir eu un comportement anormal à leur encontre du temps où elles étaient stagiaires à Clairefontaine. Il s’agissait de rapports sexuels. »

La technicienne est alors convoquée à un entretien préalable au licenciement le 30 septembre 2013. « Elle s’est défendue et a nié en totalité les faits qui étaient dénoncés, a précisé le cadre de la FFF aux enquêteurs. Elle affirmait n’avoir jamais eu de relation intime ni avoir reçu dans sa chambre à l’internat ou ailleurs aucune des joueuses. Nous avons donc poursuivi nos investigations. On m’a confirmé qu’elle avait effectivement reçu très régulièrement des filles dans sa chambre en violation complète du règlement et plusieurs personnes m’ont confié avoir eu des soupçons sur le comportement et les relations de mademoiselle Roujas. »

Angélique Roujas accueillait des filles chez elle

De nouveaux témoignages accablants qui vont amener à son licenciement. « Je l’ai revue le 17 octobre et elle a changé de version, reconnaissant avoir accueilli certaines pensionnaires le soir dans sa chambre, prétextant que sa chambre était aussi son bureau et donc le seul endroit où elle pouvait recevoir les jeunes filles qui le désiraient. Angélique Roujas a aussi reconnu avoir reçu des filles le week-end à son domicile personnel mais a affirmé que les filles n’étaient plus à Clairefontaine à l’époque. Elle affirme n’avoir jamais eu de relation intime. »

Parmi ces témoignages, on retrouve celui d’un ex-préparateur physique passé par Clairefontaine. « J’ai toujours pensé qu’il y avait des choses, j’avais des doutes à l’époque. J’ai vu des relations proches mais je ne sais pas de quelle nature exactement. Ce que je peux certifier c’est que certaines filles passaient des week-ends chez elle à son domicile. Je l’ai croisée dans son village en compagnie de pensionnaires de l’INF. Je peux en témoigner. »

Une internationale tricolore, qui est passée par Clairefontaine, va plus loin dans son témoignage. « Au début de la troisième année, j’ai commencé à voir des choses que je n’aurais pas dû voir concernant ma camarade de chambre. Elle avait des relations intimes avec Angélique Roujas. J’ai dit que ce n’était pas bien et j’ai demandé à changer de chambre. Je suis sûre de ce que je dis, j’ai vu des SMS. »

« Il y a eu une première relation sexuelle, puis d’autres par la suite »

Également auditionnée, l’intéressée a nié les faits en faisant état « de rumeurs ». Mais cette proximité entre cette joueuse mineure et son entraîneur a alerté plusieurs de ses camarades. Une d’entre-elles a fouillé dans le téléphone portable, prenant des photos d’échanges de SMS. « Ces messages disaient qu’elle aimait bien la caresser et nous avions été étonnées qu’elle envoie ce genre de message à l’entraîneur » a confié une ancienne pensionnaire de Clairefontaine lors de son audition. Le nom indiqué dans le téléphone de cette joueuse pour le numéro d’Angélique Roujas – « Petite charmeuse » – a aussi laissé perplexe ses camarades et les enquêteurs.

Le 28 novembre 2014, une joueuse passée par l’INF Clairefontaine a déposé plainte contre Angélique Roujas. « J’avais 17 ans, cela me plaisait bien d’être la préférée de la coach, a-t-elle déclaré en audition. Je me sentais flattée et je n’ai rien vu venir. La situation a évolué crescendo, Angélique est devenue de plus en plus importante pour moi, que ce soit dans la vie sportive comme personnelle. Notre relation est passée d’ambiguë jusqu’au jour où nous avons eu une relation sexuelle. Cela s’est passé chez elle et non au centre de formation. Il y a eu une première relation sexuelle, puis d’autres par la suite. Notre relation est devenue une véritable liaison dont j’étais complètement dépendante. Je sentais pour autant que cette relation n’était pas normale et Angélique ne voulait pas que cela se sache. La relation a duré presque deux ans. Puis je me suis rendu compte qu’elle se rapprochait aussi d’autres joueuses. »

Angélique Roujas : « Je n’ai pas commis de faute »

Interrogée, une autre joueuse a confirmé les « rumeurs » concernant Angélique Roujas. « Je pense qu’elle a eu des relations avec des mineures, que ce n’est pas normal mais je ne suis pas choquée parce que c’est un milieu tellement malsain Clairefontaine. » Ce que pointe d’ailleurs l’audit réalisé par l’IGERS. « Une gestion du site qui à l’époque des faits n’était pas adaptée à l’accueil des mineurs ».

Le 3 mars 2015, Angélique Roujas a été entendue par les enquêteurs en audition libre. A la question « Pensez-vous avoir commis une faute vis à vis de votre employeur, des filles ou de leur famille ?« . Celle-ci a répondu « je n’ai pas commis de faute ». Son avocate a ensuite demandé « qu’une information judiciaire soit ouverte dans le cadre de cette affaire ». Ce que le Parquet n’a jamais fait. Au total, ce sont trente personnes qui ont été entendues durant les 18 mois de l’enquête préliminaire.

Dans le procès-verbal de synthèse envoyé le 8 avril 2015 au Parquet, il est indiqué qu’Angélique Roujas a admis « avoir eu une relation avec (une joueuse) en précisant qu’elle ne faisait pas partie des promotions dont elle s’est occupée à Clairefontaine ». Mais « elle réfute tous les soupçons dont elle fait l’objet ».

Aucune interdiction de licence !

Le 3 juin 2015, le Procureur de la République de Versailles, Vincent Lesclous, a classé le dossier sans suite pour « prescription de l’action publique ». A la suite de ce classement sans suite, Angélique Roujas a d’ailleurs saisi le tribunal des Prud’hommes pour contester son licenciement. Mais la procédure a été interrompue au bout de quelques mois. Passée par le FC Metz, où elle a été licenciée en Angélique Roujas est aujourd’hui manager générale de l’ESO La Roche-sur-Yon.

Il se pose néanmoins la question de l’application de l’article 85.4 des règlements généraux de la FFF. Celui-ci indique que « Le refus de délivrance d’une licence, ou son retrait, ou encore la suspension, peut aussi être prononcé pour les mêmes fautes (pour faute contre la morale, l’honnêteté ou l’honneur), même si elles ne font pas l’objet d’une sanction pénale ou d’une interdiction de stade ». Mais le service juridique de la FFF s’y est opposé. Sans commentaire…

Jérome Bouchacourt