Jean Lapeyre
Jean Lapeyre lors de l'assemblée fédérale d'été en 2019. (Photo Philippe Le Brech)

A 67 ans, Jean Lapeyre a pris beaucoup d’importance à la FFF en presque trente ans de présence. Peut-être même un peu trop.

Il est un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître. Celui où Jean Lapeyre est entré à la Fédération Française de Football. C’était en 1994. En presque trois décennies, le natif de Sète a su imposer sa patte sur la direction juridique et l’instance fédérale en devenant un personnage incontournable. Un peu trop au goût de certains !

« Jean Lapeyre est le prototype de la prise de pouvoir des salariés sur les élus, nous confie un ancien membre du Comex. Mais c’est de la faute des gens en place depuis toutes ces années qui lui ont permis de confondre les genres, les rôles. Si je trouve qu’il a pris trop de pouvoir, on ne peut pas lui enlever qu’il a mis en place un véritable service juridique qui n’existait pas auparavant. » Un pouvoir qui est notamment visible par son omniprésence lors de nombreuses commissions.

« Je l’ai eu en commission fédérale et contentieux, en commission supérieure d’appel puis lors de nos passages devant la DNCG mais aussi une fois en appel DNCG, se rappelle l’ancien président d’un club national. Ce qui est gênant, c’est qu’on a l’impression qu’il dirige les débats à la place des présidents de commissions. » Interrogée sur ce rôle omnipotent, la FFF nous a indiqué que « Jean Lapeyre fait juste son travail de salarié, ni plus ni moins ». Un salarié qui n’hésite pourtant pas à jouer avec les nerfs des clubs.

Des délais pas toujours raisonnables !

Ce fut le cas à l’été 2018 avec Orvault Sport Football. Le club de Loire-Atlantique avait fait appel le 25 juin d’une décision de la commission fédérale des règlements et contentieux (CFRC) concernant son match de barrage perdu par pénalité pour l’accession en D2 féminine. Le 13 juillet, Jean Lapeyre signifiait au club que cet appel avait été jugé irrecevable par la commission supérieure d’appel du… 5 juillet ! Pire, les groupes de D2 féminine avaient été publiés par la FFF le 12 juillet, soit la veille de l’envoi de la notification. Pourtant l’appel de ce club était valable, ce que le CNOSF a confirmé quelques jours plus tard en conciliation.

Un exemple très significatif. Mais ce sont des dizaines de clubs qui ont été lésés ces dernières saisons par les délais du service juridique. Des délais qui ne sont plus vraiment raisonnables quand ils dépassent quinze jours. « Les réunions de la Commission supérieure d’appel sont toujours très chargées, nous a précisé la FFF. Il faut ensuite le temps nécessaire de rédiger consciencieusement toutes les décisions et cela ne se fait pas en un jour. » Et si c’est au détriment des droits des clubs, ce n’est pas très grave !

« Il défend bien les intérêts de la maison bleue »

Ce système bien rôdé a été mis en place par Jean Lapeyre dans des dossiers un peu complexes comme celui d’Orvault. Mais ce fut le même cas pour La Charité-sur-Loire, Corte, Saint-Estève… et tant d’autres ! Les passages devant le CNOSF sont aussi de la même trempe puisque les clubs ne reçoivent le mémoire en retour du service juridique que quelques minutes avant le passage en conciliation. « Il n’est même pas obligé de le faire puisque le contradictoire et les éléments de défense se font à l’oral lors de la réunion de conciliation à laquelle il participe » se défend la Fédération Française de Football.

Quand il y a un représentant de l’instance fédérale ! Car les clubs se retrouvent régulièrement en tête à tête avec le conciliateur et son assistant(e). Ce qui n’est pas forcément apprécié du côté du comité olympique dont la nouvelle présidente n’est autre que… Brigitte Henriques, qui est aussi vice-présidente de la FFF. Comme nous l’avions révélé dans notre enquête sur les conciliations, il y eu une très forte hausse des oppositions de la FFF entre 2017 (47%) et 2019 (66%). L’instance fédérale n’avait pas souhaité réagir.

« On peut dire qu’il défend très bien les intérêts de la maison bleue, assure un ancien salarié de la FFF. Mais ce n’est pas simple car le nombre de contentieux a explosé ces dernières années avec des recours à des avocats et des juristes par les clubs. C’est donc plutôt normal qu’il soit au four et au moulin. » Au point d’être très limite avec des méthodes où le contradictoire n’est pas forcément respecté ? « Nous contestons cette affirmation, nous répond la FFF. Les parties prenantes sont, à chaque fois auditionnées, le contradictoire est dont forcément respecté. Si tel n’était pas le cas, nos décisions auraient été cassées depuis longtemps par le conciliateur ou par les tribunaux. »

Un doigt d’honneur à la sortie d’une réunion des directeurs

Ce qui est déjà arrivé. Comme dans le cas Corte en 2019 puisque le tribunal administratif de Bastia avait validé la montée du club corse en National 3. Avant que la FFF fasse machine arrière un mois plus tard ! A l’époque, le CNOSF avait estimé « que seule l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Bastia du 19 juillet 2019 pouvait s’imposer à lui et que la Fédération ne pouvait réglementairement omettre d’en tirer les conséquences et a contrario y substituer celles résultant de la décision de l’une de ses propres commissions ».

Sauf que le comité exécutif de la FFF n’aurait jamais refusé d’appliquer cette décision de justice administrative sans l’avis de… Jean Lapeyre, son omnipotent directeur juridique. A 67 ans, celui qui apprécie les randonnées pyrénénnes – ou encore qui aime taper le ballon le week-end en vétérans dans son club du SC Epinay-sur-Orge – ne s’est d’ailleurs pas gêné, dernièrement, pour faire un doigt d’honneur à un collègue à la sortie d’une réunion des directeurs de la FFF. A l’image du personnage qui est autant apprécié que détesté.

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Jérome Bouchacourt